Le communicateur scientifique est-il un journaliste scientifique ? Quelles sont les différences entre ces deux métiers ? Quels conseils suivre si l’on souhaite pratiquer ces métiers ? Websder Corneille occupe les fonctions de Chargé des communications de la plateforme francophone de communication scientifique RaccourSci et d’animateur du réseau Caraïbe des Clubs Leaders Étudiants Francophones (CLÉF) de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Corneille œuvre conjointement pour le déploiement et le rayonnement de la plateforme RaccourSci dans toute la Francophonie. Il travaille également au développement des sept clubs AUF qui sont éparpillés à Cuba, République dominicaine, Haïti et Jamaïque. Dans cette interview accordée à ASCA, Corneille présente les métiers de communicateur scientifique et de journaliste scientifique. Il partage aussi des conseils pour réussir dans ces métiers.
- Selon vous, quelle est le rôle du communicateur et du journaliste des sciences ?
Un communicateur des sciences c’est quelqu’un avec une connaissance approfondie des sciences, de leurs principes et de leurs réalisations, et qui se donne pour objectif de les rendre accessibles et agréables à la portée de ses pairs et du grand public. Ce peut être un scientifique, un muséologue, un agent d’information attaché à un laboratoire de recherche. Pour valoriser son travail, le communicateur des sciences (ComSci) participe à des conférences ; prépare des affiches scientifiques ; rédige des articles ou communiqués de presse ; organise des festivals de science. Puisque la fonction du ComSci se trouve à l’interface des sciences et de la communication, et qu’il requiert aux praticiens des compétences en art oratoire et/ou en écriture, ceux avec une formation disciplinaire recourent souvent à un programme de formation en communication scientifique ou à l’autodidactisme pour se professionnaliser.
Quant au journaliste des sciences, nous pouvons dire, d’entrée de jeu, que c’est un professionnel embauché par un média pour faire un travail journalistique, ou quelqu’un qui évolue en pigiste ou en freelance. C’est-à-dire son premier rôle c’est de rendre l’information accessible au plus grand nombre. Sauf que dans le cas du journalisme des sciences, la démarche est beaucoup plus rigoureuse, et ouvre le chemin à la contradiction, la critique, une pluralité de perspectives, parfois même au déséquilibre des points de vue comme l’a montré Joël Leblanc, journaliste scientifique, président de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec, dans une tribune dans Le Devoir : « La rigueur impose de présenter les deux résultats contradictoires en avouant que la science n’a pas encore de réponse claire ». Une position que l’on imagine difficile à tenir par un rubricard, un éditorialiste. L’autre parent proche du journalisme scientifique, à mon avis, c’est le « journalisme explicatif » (explanatory journalism, en anglais) tel qu’il est pratiqué par The Conversation où des chercheurs sont souvent sollicités pour élaborer sur une thématique en fournissant davantage de contexte que les reportages conventionnels. Le concept même le dit : c’est un journalisme explicatif, donc le premier désir c’est de s’éloigner de toute potentielle ambiguïté.
- On entend dire que pour être un bon communicateur scientifique, il faut : « établir et garder le contact avec les scientifiques ». Que pensez-vous de cela ? Quelle nature peut prendre le rapport avec les scientifiques ?
Je pense que les médiateurs des sciences gagneraient beaucoup en se trouvant dans la proximité des scientifiques qui constituent, dans bien des cas, les premières sources d’information crédibles. Toutefois, le rapport d’influence n’est pas trop loin, et c’est pour cela qu’il faudrait prendre ses distances autant que possible pour s’y échapper. Je me souviens en 2015, à mon émission PluriCulture propulsée par Radio Vision 2000 en Haïti, j’y ai reçu le chercheur haïtien Voldein Laguerre après la confirmation de sa théorie « Cyclologie » ou théorie mathématique des cycles et des constantes par la Faculté des sciences (FDS) de l’Université d’État d’Haïti. N’ayant aucune connaissance en la matière, je me suis appuyé sur mes références à la FDS pour comprendre le socle épistémique et la démarche méthodologique de cette nouvelle théorie mathématique qui a beaucoup attisé la curiosité dans les milieux académiques haïtiens, à l’époque. Je pense que sans cette proximité avec le milieu dans lequel le chercheur évoluait, il m’aura été plus difficile de formuler des questions pertinentes et prendre le contre-pied certaines fois. J’ai entendu d’autres témoignages de journalistes et vulgarisateurs des sciences qui ont fait relire leurs contenus par des spécialistes du champ abordé pour s’assurer de la clarté du point de vue, sa saine interprétation…parce qu’après tout, les scientifiques reprochent souvent aux médiateurs des sciences de simplifier leurs recherches, voire de les dénaturer. En fin de compte, je pense que chacun décidera de la nature de sa relation avec un scientifique parce qu’après tout, les rapports interpersonnels sont essentiels pour les métiers de la communication.
- Faut-il se mettre dans la peau d’un scientifique pour mieux relater les faits ? Si tel est le cas, comment éviter de tomber dans l’excès ?
Tout d’abord, j’ai plutôt tendance à déconseiller cette attitude, surtout en communication des sciences. D’ailleurs, l’activité même de la communication des sciences consiste à se détacher de l’image du scientifique enfermé dans sa tour d’ivoire pour s’impliquer dans le débat public. Je pense que l’exercice requiert un minimum d’innovation, du naturel, d’empathie, bref, de soi. Il faudrait toujours se rappeler que c’est un exercice de communication, donc un message clair, concis et précis a davantage de chance d’atteindre les résultats escomptés. « Soyons nous-mêmes, le plus complètement possible », préconisaient les têtes de file du mouvement Indigéniste haïtien du début du 20e siècle pour se détacher de leurs pairs du 19e à qui l’on prêtait, à tort ou à raison, la volonté de pasticher les classiques français.
Je pense que l’excès peut conduire à l’adoption de certaines idées reçues, par exemple le syndrome du déficit de connaissance qui consiste à voir l’interlocuteur comme un inculte. À propos du syndrome, Pascal Lapointe qui est rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse, a écrit dans RaccourSci : « Vulgariser, ce n’est pas enseigner et ça ne doit pas être pensé uniquement en termes d’un « transfert » du haut vers le bas ». À ce stade, l’excès peut être dans la pérennité de ces idées fausses en essayant de se mettre dans les souliers de quelqu’un que l’on définit comme un modèle à reproduire.
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- Quel est votre regard sur le journalisme scientifique en Afrique ? Pensez-vous qu’il a de l’avenir ?
L’avenir est assuré. Il suffit de suivre le travail de Kossi Balao, Barry Bagou, Kuessi Togbé, Charlotte Cyprienne Ezebada, Emmanuel Dabo, entre autres, ou des plateformes comme Amis de la Science, All For Sciences, l’Univers Sciences, le Vert Togo pour aboutir au même constat. J’ai manqué de peu la première conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones en octobre 2022, à Dakar, et je ne m’en remets toujours pas. Depuis quelques temps, je lis, quotidiennement, des articles sur les sciences rédigés par mes sœurs et frères africains, et je ne peux qu’apprécier la rigueur qui caractérise tout ce beau travail protéiforme. Bref, le journalisme des sciences en Afrique a de beaux jours devant lui ; « avni an klè kou dlo kòk ! » (L’avenir est clair comme l’eau de coco, traduction littérale du créole).
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- Un conseil à l’endroit des jeunes chercheurs et journalistes des sciences africains ?
Aux jeunes chercheurs africains, qu’ils s’engagent avec passion dans la communication des sciences parce que cela comporte des bénéfices pour le déploiement de leur carrière. Des doctorants m’ont même témoigné qu’ils ont reçu des bourses grâce à leur implication dans le dialogue sciences-société. Toutefois, je peux vous affirmer que ce travail s’est déjà amorcé par les jeunes chercheurs ; une formation en communication des sciences en automne 2022, organisée par RaccourSci avec le soutien du CRDI, à l’intention des jeunes chercheurs en Afrique subsaharienne m’a permis de suivre cet élan. À la fin des ateliers, les participants ont produit des contenus de qualité qu’ils mettront bientôt, mon souhait, à disposition du public.
Le conseil n’est pas si différent pour les journalistes des sciences en Afrique : s’investir davantage ; se former en science ; aiguiser la curiosité ; développer l’esprit critique. Je pense que c’est une excellente idée de se mettre en réseau pour agrandir la communauté scientifique dans la région, comme l’a préconisé Amy Djibril Gueye et Almamy N’diaye, deux membres du Réseau des Jeunes Scientifiques Mauritaniens, dans un texte publié sur RaccourSci. Je salue à ce point le Réseau des Journalistes Scientifiques d’Afrique Francophone, l’Association des Journalistes Scientifiques de Guinée, l’Association des journalistes scientifiques de Côte d’Ivoire qui constituent un terrain fertile pour ce réseautage. « Ansanm nou fò » (L’union fait la force, traduction littérale du créole) est la devise de la République d’Haïti, et qui pourrait servir de slogan mobilisateur pour illustrer cette alliance.